Cette question apparemment banale qu’un invité m’a posé au cours d’une soirée entre amis peut passer totalement inaperçue dans un flot d’échanges autour de ma passion pour la botanique. Toutefois, ce soir-là, l’interrogation a fait surgir en moi un bouquet d’émotions et de questionnements. Effectivement, je ne m’étais jamais posé la question !

Quelle est l’utilité des orchidées ? Mais en même temps, cette question est un peu triviale ! Pourquoi les orchidées devraient elles servir à quelque chose ? En mûrissant ma réponse, je me dis : Comment ce personnage peut-il parler ainsi de ces merveilles ? Quel crédit dois-je apporter à ce blasphème botanique prononcé par un profane méconnaissant la fascination quasi divine que les orchidées provoquent chez leurs admirateurs ?

Il n’avait certainement pas dû avoir une grande formation dans sa vie sur les milieux naturels et sur la biodiversité ! La question lui était venu tout naturellement, puisque j’étais visiblement extrêmement passionné par ce sujet. Et qui peut avoir intérêt à étudier quelque chose qui ne sert à rien ? Il est vrai que je me suis toujours demandé où était la source de ma passion, qu’est ce qui me poussait à courir dans les campagnes et les montagnes de tous les pays pour voir des plantes en fleur ! Mais je ne m’étais jamais demandé à quoi elles servaient !

Ce questionnement positionne le centre des intérêts de cet homme et de beaucoup d’autres sur ce qui sert. Toute chose dont nous reconnaissons l’existence doit matériellement servir à quelque chose pour nous, homme. Les choses qui ne nous servent pas n’ont aucune raison d’exister à ses yeux. Il y’a fort à parier que le superflu, la connaissance pour la connaissance, la poésie, n’aient pas grand intérêt pour lui : cela ne « sert » à rien dans son esprit !

Cette question amène également un autre angle de discussion : en demandant l’utilité des orchidées, il exprime le rapport que notre culture entretient avec la nature. Dans notre esprit, la nature est là pour subvenir aux besoins de l’humanité.

Notre anthropocentrisme est tel que nous ne sommes même pas en mesure de nous rendre compte que cette vision est gravement déviante ! La nature n’est pas à notre disposition !

Nous en sommes un produit. La vie sur terre nous a créée à la suite d’une très longue histoire qui a d’abord vu la vie aquatique, puis terrestre et aérienne, la disparition des dinosaures, etc. et finalement a abouti au monde d’aujourd’hui avec entre autres espèces, l’homme.

L’homme et les orchidées ! Nos ancêtres homos ont assurément connu les ancêtres des orchidées actuelles. Elles ont vécu, à leur manière, un peu la même histoire que nous, tout au long de l’histoire de la vie sur terre. Leurs ancêtres, comme les nôtres, n’avaient pas d’autres chose à faire que de se maintenir en vie et de proroger l’existence de l’espèce jusqu’à nous, et du même coup, de la vie sur terre.

Mais la vie n’a pas de finalité : elle ne sert pas, elle est. La vie est vie comme la terre est terre, le soleil soleil. Etre, sur-être même, se maintenir, se reproduire et se diversifier ne sont pas des raisons d’être : c’est la manière d’exister de la vie. Finalement, les raisons d’être de l’homme et de l’orchidée ne sont pas très loin l’une de l’autre. L’homme, comme l’orchidée, ne sert pas en soi, si ce n’est d’exister et de contribuer à la construction de l’écosystème. Nous sommes l’un et l’autre les représentants actuels de toutes les lignées qui nous ont précédées, et nous contribuons à notre échelle à la construction de la biosphère.

Aussi, après avoir mené cette réflexion, je lui répondais :

« les orchidées, ça sert à la même chose que toi !»

Marc Pena