Ce dernier mois de mars, mes pérégrinations ont conduit mon chemin jusqu’au lac d’Hostens, dans le Sud girondin. Ces anciennes carrières de lignite, abandonnées durant les années 70, ont laissé place à un milieu redevenu sauvage, composé de plusieurs lacs entrecoupés d’un dédale d’îles et de bras.
Merveille de milieu pour toute une faune et une flore remarquables. L’occasion m’était donnée de profiter, en ce début de printemps, de ces moments délicieux ou ces lacs s’animent de toute la renaissance printanière de la vie. Une multitude de canards souchet, colvert, pilet sans compter les poules d’eau préparent leur demeure pour la saison, tout en jouant aux jeux de la séduction avec leur futur partenaire.
Je savais que j’allais aussi pouvoir profiter des parades d’opéra des grèbes huppés et des cygnes, danseurs étoile aquatiques, mis en scène théâtralement dans ce décor fantastique. Me reviennent aussi les caquetages interminables des foulques, orchestre flottant, tapissant d’un fond sonore ces paysages embrumés.
Les jumelles à la main, les oreilles grandes ouvertes, je cheminais jusqu’à cet endroit du lac où de nombreuses îles et presqu’îles pénètrent les eaux noires du lac, mêlant la terre à l’eau, et générant un dédale de petits recoins, havres de paix pour les nicheurs de toutes espèces.
Mais quelle fut ma surprise, en ce milieu d’après-midi, de trouver l’endroit désert, sans oiseaux, ni sur l’eau ni dans les arbres, sans aucun bruit ! Aucun foulque, qui d’habitude parsèment la surface de leur silhouette noire et blanche si caractéristique, aucun ballet amoureux des géants au long cou et à la blancheur immaculée, aucun canard vacant avec sa troupe autour de l’eau. Seul un malheureux colvert, isolé, visiblement amoindri, après m’avoir longuement observé, pris péniblement son envol, rompant quelques instants ce pesant silence.
Je m’approchais alors des berges pour vérifier que le lac était bien encore vivant, qu’il respirait encore en quelque sorte ! Cela afin de me rassurer sur la pérennité de ce milieu que je parcours depuis de nombreuses années. Je devrais y trouver les petits alevins effleurant le dessous de la surface, à la recherche de tout ce qui peut être mangé par ces délicats mais voraces bébés. Je devrais aussi y trouver quelques insectes nageurs qui constituent une base alimentaire pour tous les animaux du lac.
Mais catastrophe ! Je fus obligé de constater que là non plus, il n’y avait rien, pas d’alevins, pas d’insectes, pas de poissons : comme si la vie avait disparue.
Cette désertification de ce lieu qui m’est si cher a causé un grand trouble en moi. Est-ce une sorte de fin du monde à laquelle j’assiste ?
J’essaye de me faire croire : ce constat n’est certainement qu’une coïncidence ! Les animaux devaient être blottis dans leurs repères, à l’abri des regards, confinés dans leur intimité. Ils ne peuvent pas être tous morts !
Cela me fait néanmoins resurgir un souvenir vieux de deux ans, lorsque, au Portugal, à la même saison, je visitais une réserve naturelle dans des corniches calcaires. Les magnifiques ambiances printanières de ces zones méditerranéennes où les rochers, la garrigue et le maquis créent habituellement un habitat propice aux mélodieuses fauvettes, aux arrogants merles de roches ou aux pies-grièches, étaient désertes cette année-là. J’avais été choqué par le manque d’oiseaux ! Et là non plus, très peu d’insectes, très peu d’oiseaux, alors que le site était somptueux.
Je crois qu’il est temps de regarder la réalité en face et de constater que nos rivières, nos lacs, les animaux de nos forêts sont en train de mourir. Que les mers aussi meurent : le phytoplancton, source de toute la chaine alimentaire de l’océan, a diminué de 40% depuis 1950 (C. Peltier 2010). C’est très grave quand on sait qu’il est responsable de la production de la moitié de l’oxygène que nous respirons et qu’il fixe 100 millions de tonnes de CO2 par jour ! Outre le manque de création de biomasse globale que cela signifie, puisque le phytoplancton métabolise le CO2 en sucre pour la suite de la chaine alimentaire océanique, il va manquer la captation de dizaines de millions de tonnes de CO2 par jour dans le bilan matière de l’atmosphère.
Nous allons rapidement avoir un problème !
C’est-à-dire que si nos désherbants et autres produits chimiques toxiques et rémanents (et non pas durables comme certaines publicités le disent) parviennent jusqu’au milieu de l’océan et détruisent le phytoplancton, l’océan meurt ! Toute la chaine alimentaire océanique disparaît et, en même temps, 100 millions de tonnes de CO2 vont enrichir l’atmosphère chaque jour.
Le danger est immense !
Je pense que l’heure n’est plus à chercher des responsabilités économiques ou politiques. La question qui se pose aujourd’hui est la survie de la biosphère, et, entre autres, de l’espèce humaine ! L’homo sapiens, devenu homo economicus, a pris le dessus sur l’environnement planétaire, par sa technologie, son mode de vie, et par son nombre ! C’est à nous, en tant qu’espèce aux sept milliards de représentants, de résoudre ce problème car nous, nos produits, nos activités, les biens que nous construisons pour les consommer, toute cette débauche de nouveaux produits abiotiques en est la cause.
Les CFC détruisent la couche d’ozone, les néonicotinoïdes tuent tout, les PCB et autres dioxines s’accumulent dans les chaînes alimentaires, l’éternel DDT sert aujourd’hui de marqueur dans les sédiments ! Les molécules inaltérables que nous mettons en circulation dans l’écosystème s’accumulent, par définition. Leur stock en circulation ne cesse d’augmenter, puisqu’elles ne se dégradent pas !
Nous ne pouvons plus nous voiler la face : nous sommes en train de tout empoisonner. Et la nature disparaît pour nous le signifier. Nos scientifiques le mesurent tous les jours à travers leurs relevés, mais notre vie de tous les jours nous amène également à le constater : les pare-brise restent bien propres, les hirondelles ne nichent plus dans les fenêtres de nos maisons, les papillons ont disparu de nos jardins.
Nous devons entendre ce message.
Nous devons arrêter d’empoisonner notre écosystème par tous les produits toxiques rémanents, sans quoi nous allons générer une perturbation planétaire dont on ne peut pas mesurer la gigantesque ampleur !
Espérons qu’il n’est pas trop tard.
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