La réflexion autour de ces trois concepts offre un point de vue très constructif pour le travail sur un nouveau mode d’organisation de la société. 

La relation entre les trois est étrange : le citoyen constitue l’État, lequel participe à la constitution du monde. Mais aussi, c’est parce que le monde est autre chose que le simple État que l’État existe à son niveau, en face des autres États du monde. Dans le sens où le monde lui permet d’exister en tant qu’État, le monde crée l’État. De la même manière, l’État qui permet à l’individu d’exister en tant que citoyen, le crée en tant que tel, puisque cette condition de citoyen lui est relative, à lui, État. Nous avons ces trois concepts qui se créent mutuellement. Ils sont à la fois cause et conséquence de leur propre existence. Cela témoigne de la complexité inhérente aux systèmes vivants, et particulièrement humains. 

Mais cette réflexion humaniste mérite d’être élargie à la grande complexité de la biosphère. Si nous repositionnons l’humanité dans son écosystème, cette proposition peut s’orienter vers ce qu’Edgar Morin appelle la trilogie humaine : individu, société, espèce. Ce prolongement de la réflexion détourne l’intérêt principal de la réflexion humaniste pour la réorienter vers une pensée plus globale et environnementaliste. Concevoir cette multiple appartenance au monde humain et au monde vivant, à un État mais aussi à un mode de société parmi d’autres, et exister en tant que citoyen mais aussi représentant du genre homo sapiens ici et maintenant, procure de nouvelles valeurs dans nos schémas habituels de représentation de notre humanité. Concevoir notre humanité dans le contexte global de la biosphère peut nous faire progresser dans notre projet. Nous ne sommes pas dépendants seulement de notre entourage social, nous devons acquérir la conviction que nous dépendons aussi, et peut-être avant tout, de notre environnement biologique naturel. 

 Les liens qui existent entre le citoyen, l’État et le monde sont aussi de nature complexe. 

L’État, qui est le terme moyen de la trilogie, est tourné d’un côté vers ses semblables, autres États équivalents, avec qui il défend son existence et l’existence du peuple qui le compose. Il entretient des relations d’États qui le positionne dans cet univers-là. Il doit gérer son positionnement, diffuser ses idées, convaincre les autres de l’évolution qu’il souhaite donner au monde dans son ensemble. L’histoire, sa capacité économique et militaire sont des critères qui interviennent dans la qualité des relations entretenues avec ses pairs. 

D’un autre côté, l’État est aussi le garant vis-à-vis du peuple que la société fonctionne dans de bonnes conditions. Les personnes en charge de l’organisation de la société seront jugées par les citoyens. Dans les républiques, ces personnes sont élues et peuvent être changées. 

La manière d’organiser la société, le choix des critères à prendre en compte, le fonctionnement de la répartition des richesses sont l’objet de tous les débats politiques. 

 Mais l’État est également la matérialisation de la culture et de beaucoup de croyances et de valeurs inhérentes à cette société. Quelles sont les croyances auxquelles nous adhérons ? Aujourd’hui, la puissance de conviction de la société de consommation est difficile à remettre en question. La vie urbaine, avec un travail qui permet de gagner de l’argent et d’acheter ce qu’on veut, est un mythe hyper efficace ! Aucun peuple n’y résiste. Pourtant, parmi la population, les personnes qui sont effectivement dans cette situation sont peu nombreuses. La majorité survit dans ce contexte de consommation. Mais presque tous y croient, et c’est grâce à cette croyance que le système existe : tous les jours, chacun est d’accord pour passer 7 ou 8 heures à travailler pour réaliser sa contribution au système, et en tirer de cette façon son mode de subsistance. Ce qui le pousse à agir de la sorte me semble principalement relever de trois axes : une croyance dans ce modèle où l’argent est la voie de réalisation de ses rêves, un besoin de reconnaissance pour se sentir exister et satisfaire son ego, et un tropisme vers le pouvoir, principalement chez les mâles comme chez quelques grands singes (chimpanzés entre autres). 

Ces trois axes me semblent des moteurs importants de la société. Ils interviennent à tous les niveaux, depuis l’individu jusqu’à la relation entre États. 

Inventer un nouveau modèle de société demandera à gérer inéluctablement ces tropismes et à les considérer comme paramètres à faire évoluer. Car notre nouveau modèle de société doit donner envie au citoyen d’adhérer, de contribuer en participant volontairement, à la vie de celle-ci. (le modèle doit donner envie au citoyen d’adhérer à la vie de la société) 

 Marc Pena