Q: Bonjour Marc Péna, vous dirigez une entreprise de recyclage dans la région AQUITAINE. Comment en êtes-vous arrivé là ?
L’histoire de mon entreprise se porte sur deux générations, puisque j’ai repris l’embryon que m’a laissé mon père en 91. A cette époque, l’entreprise était surtout active dans le recyclage des déchets de fonderie de métaux non ferreux. Nous étions 20 personnes. Aujourd’hui, nous sommes 200 et nous recyclons plus de 1500 tonnes par jour de déchets. La moitié environ de ces tonnages est constituée par la déconstruction de bâtiments, mais nous sommes également actifs sur les déchets organiques, les déchets industriels, dangereux ou non, les métaux, les déchets électriques et électroniques, les plastiques. Notre chiffre d’affaires avoisine les 75M€.
Q: Qu’est-ce qui vous a poussé à mener une telle diversification?
Ma formation d’origine est plutôt du côté de l’agronomie, mais j’ai toujours été passionné par l’étude de la nature. J’ai beaucoup herborisé un peu partout autour du globe, et cela m’a poussé à regarder la place de l’homme dans l’écosystème naturel. Les peuplades d’Amazonie n’avaient, avant l’arrivée du plastique, pas de problème de déchet car la totalité de leurs biens étaient biodégradables et donc ne s’accumulaient nulle part.
En comprenant bien le cycle de la matière dans l’écosystème, nous pouvons constater que la matière vivante se crée chez les plantes à partir de lumière, d’air et d’eau, et que l’ensemble des autres êtres vivants consomment directement ou indirectement cette matière. Ce constat m’a amené à tenter de reproduire ce modèle dans la société humaine, à travers le recyclage : ne pourrait-on pas envisager un monde où la matière qui constitue chaque chose serait la réincarnation, sous une autre forme, d’un objet ayant déjà vécu une première vie ? Ne peut-on pas faire évoluer nos pratiques pour atteindre le zéro déchet ?
Dans ce projet, la matière que nous utiliserions pour construire notre société proviendrait entièrement de biens déjà usés ou obsolètes, dont la matière première aurait été purifiée, préparée et réinjectée dans le cycle de production ? C’est le défi que j’ai choisi de relever.
Q: Quels types de déchets recyclez-vous ?
Ce défi qui semble assez simple sur le papier est en réalité d’une grande complexité. Au-delà des technologies de recyclage qui sont propres à chaque matière première, et toutes différentes les unes des autres, la place que nous occupons dans l’économie fait que nous sommes comme Janus, tourné vers le passé mais aussi vers l’avenir.
Du passé nous récupérons les vieux matériels usés lorsque chacun des détenteurs choisit de s’en débarrasser. Cela est notre matière de base. Les deux contraintes principales sont que lorsque le détenteur choisi de jeter son bien, nous devons être disponible pour le prendre en charge, quelle que soit sa nature ou sa quantité. C’est à dire que nous subissons la génération des déchets et nous devons être prêts à chaque instant à accepter toutes sortes de choses. La deuxième contrainte est que les matériels rebutés au rang de déchet sont très divers et souvent constitués d’une panoplie de matières premières souvent incompatibles les unes avec les autres dans le cadre du recyclage. Regardez autour de vous tout ce qui vous entoure et imaginez le futur de ces objets quand leur dernière heure d’utilisation aura sonné ! Le travail n’est pas facile ! N’oublions pas que tout ce qui nous entoure est un déchet en puissance.
Mais nous sommes également tournés vers l’avenir : pour ce vieux bien usé que nous prenons en charge, nous devons inventer et construire un futur digne. En séparant les matières premières qui le constituent, en les traitant, nous pouvons proroger la vie de chacune de ces matières en les préparant pour servir à nouveau, dans leur fonction initiale ou dans d’autres. Notre savoir-faire réside dans la transformation des déchets en matières premières utilisables et marchandes. La matière première que nous allons ainsi générer sera utilisée pour la construction de nouveaux biens de consommation. C’est la clé du recyclage.
Mais chaque matière première demande un traitement spécifique pour être rendue utilisable. On ne recycle pas de la même manière un tube de cuivre, un déchet organique ou un aspirateur ! Nous avons donc été amenés à développer de nombreuses technologies pour arriver à nos fins.
Q : Comment opérez-vous ?
Nous avons plusieurs installations qui sont chacune dédiées à un type de déchet.
L’activité des déchets électriques par exemple, est située à Mérignac. Nous recevons 2000 tonnes par mois de machines à laver, grille-pains et autres aspirateurs. Nous les broyons afin de séparer les différents composants : acier, cuivre, moteurs, béton, plastiques etc… afin de les rendre utilisables par des consommateurs de matière première recyclée : aciéristes, métallurgistes, entreprise de TP… La quasi totalité des matières redeviennent utilisables à la sortie de chez nous.
Une autre activité phare est le compostage à Saint-Jean d’Illac. Là nous traitons les matières organiques dans d’énormes réacteurs de fermentation. Nous recevons les déchets verts, les biodéchets, les boues de station d’épuration, et nous les pasteurisons grâce à une fermentation contrôlée. Cette barrière hygiénique est très importante pour éviter la circulation de maladies ou de parasites. Notre installation et nos pratiques ont été un modèle pour l’élaboration des meilleures techniques disponibles dans la réglementation européenne. Nos deux réacteurs de fermentation sont chargés chacun avec 500 tonnes de déchets organiques chaque semaine, soit 1000 tonnes par semaine. Le compost que nous produisons est très efficace : avec 1kg/m², nous avons démontré que la production de maïs était équivalente à celle des parcelles témoin fertilisés chimiquement. La fertilisation de l’agriculture industrielle à base d’amendement organique est tout à fait possible, nous le démontrons. Mais les règles administratives, les habitudes commerciales et les lobbies rendent cette avancée pour l’environnement bien difficile à mettre en place.
Q : Quel sont à votre avis les freins au développement durable en France ?
Le plus difficile dans le développement durable, c’est de redistribuer les cartes de l’économie. Cheminer vers un monde plus durable, cela signifie que les pratiques les plus respectueuses de l’environnement doivent remplacer les techniques anciennes moins adaptées à notre projet. Cela signifie que les marchés liés à ces techniques anciennes, lesquels sont généralement entre les mains de certaines grandes entreprises très implantées depuis longtemps et donc très influentes, doivent être remis en cause au profit de nouveaux produits, matières ou pratiques, que l’ancienne économie ne sait pas produire, mais qui sont proposées par de potentielles start-up de l’environnement. Même avec beaucoup de dynamisme, un super produit et des idées magnifiques et révolutionnaires, la pauvre start-up n’a pas beaucoup de chance de survie si elle vise un marché détenu par ces gros dinosaures aujourd’hui en France. En outre, on le voit tous les jours, si les grosses pattes des sauriens n’en venaient pas à bout, les propres services de l’état peuvent rendre la vie impossible à cet outrecuidant innovateur visionnaire.
C’est à mon avis là que réside le principal frein au développement durable dans notre société.
Marc Péna
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